par Jean-Jacques COURTEY, Docteur en Géographie Economique, Ph. D
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Ce nouvel article d'histoire uchronique va emprunter la forme du conte philosophique emprunt d'éléments historiques chers au XVIIIème siècle, pour parler justement du XVIIIème siècle et de la France d'alors ...ou du temps présent au contraire !
Le personnage historique que nous avons choisi pour illustrer notre propos est totalement inconnu du grand public : il s'agit de Charles-Pierre-Paul de Savalette de Langes (1746 - 1797) !
Il eut l'honneur d'être le Gardien du Trésor Royal sous le règne de Louis XV (1715 - 1774), et surtout sous celui de Louis XVI (1774 - 1792), et sa curieuse histoire vaut vraiment le détour tant elle a marqué la France depuis la Révolution de 1789. Elle mérite évidemment au préalable quelques rappels historiques !
Bien sûr, notre récit risque de vous surprendre par les détails historiques très peu connus, qu'il donne sur cette période hautement troublée. Enfoncez-vous bien dans votre fauteuil, et n'hésitez pas à faire une pause après chaque partie si vous avez besoin de reprendre votre souffle. Bonne lecture !
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Sous le Roi Louis X le Hutin (1289 - 1316), Enguerrand de Marigny (vers 1260 - 1315), son grand Argentier fut condamné notamment pour ses malversations supposées et ses menées avec le Malin - supposées également -, à être pendu au gibet de Montfaucon (devenu l'emplacement d'un marché dans le XIXème arrondissement de Paris, présentement). Et son corps y resta exposé pendant deux ans, jusqu'à sa réhabilitation par un deuxième procès en 1317 sous Philippe V Le Long (1293 - 1322). Enguerrand était le demi-frère de Philippe de Marigny (1250 - 1315), l'évêque de Cambrai qui avait instruit le procès des malheureux Templiers à partir de 1307... puis le sien en 1314-1315 en tant qu'archevêque de Sens ! En fait, la mort de Philippe IV le Bel (1268 - 1314), son protecteur dont il avait été le bras droit, lui fut rapidement fatale. L'intervention de Charles de Valois (1270 - 1325), frère de Philippe Le Bel et oncle du nouveau Roi fut déterminante. Il donna d'ailleurs son nom à la dynastie des Valois, à travers son fils Philippe VI de Valois (1293-1350), à l'extinction rapide des Capétiens directs !
Sous Louis XIV (1638 - 1715), ce fut le tour de Nicolas Fouquet (1615 - 1680), qui avait eu tort de vouloir éblouir le Roi avec son magnifique Château de Vaux-Le-Vicomte. Il aiguillonna trop vivement sa suspicion quant à son honnêteté dans son rôle de Surintendant des finances. Les intrigues du ministre Colbert (1619 - 1683) avaient d'ailleurs préparé sa chute. Souvent, les historiens oublient qu'il fut également accusé de haute trahison, pour s'être discrètement constitué une flotte privée dans le port de La Rochelle (sans qu'on en sache le but ultime). Mais Fouquet quant à lui, fut condamné à la prison à vie et mourut dans la forteresse de Pignerol (dans le Piémont italien de nos jours). Certains ont voulu voir en lui l'homme au "Masque de Fer", pourtant mort le 19 novembre 1703 à Paris (à la prison de La Bastille) - ce qui n'a pas grand sens puisque tout le monde savait que Fouquet avait été condamné !
Charles-Pierre-Paul de Savalette de Langes, Gardien voleur du Trésor Royal de Louis XVI, n'a jamais été condamné à rien quant à lui : ni pendaison, ni prison donc. Il est l'un des rares hommes qui ait pu accomplir le crime financier parfait, et en rire à s'en faire exploser la rate, même s'il eut quelques sueurs froides en 1788. Il vivait dans le luxe et menait la grande vie. Mais dans un siècle du paraître, le faste de sa vie ne dépareillait guère. Elégant et libertin, il appréciait vraiment la vie d'Ancien Régime qu'il menait...même s'il entendait secrètement avec bien d'autres mettre fin à ce monde jugé ancien et dépassé. Et jusqu'à nos jours, tout le monde ou presque ignore jusqu'à son existence et à sa fonction pourtant importante. Et surtout, personne n'est conscient de ce qu'il a fait. Pourtant, il reste un rouage essentiel, mais cependant inconnu de la Révolution Française de 1789, son grand trésorier !
Charles-Pierre-Paul de Savalette de Langes est né à Tours le 21 septembre 1746, et il est mort le 11 décembre 1797. Fils aîné du Marquis Charles-Pierre de Savalette de Magnanville (1713 - 1790), il reçut la charge héréditaire de Gardien du Trésor Royal en 1756, donc sous Louis XV (1710 - 1774). Il n'exerça pleinement ce rôle qu'à la fin du règne de ce dernier, et sous le Roi Louis XVI (1754 - 1793 ?). Certes, la réorganisation des finances du Trésor Royal de 1788 bouleversa un peu ses habitudes. Il crut même un moment que le Roi doutait de son honnêteté (avec raison semble-t-il), et qu'il allait perdre sa charge et peut-être finir en prison. Cependant, si à partir de 1788, la garde du Trésor Royal fut effectivement subdivisée entre quatre administrateurs chargés d'une caisse auxiliaire, il put finalement se rassurer : il demeura l'un de ses quatre administrateurs, avec une constitution de rente de 20 000 livres par an sur les revenus du Roi !
Le 8 août 1788, lorsque Louis XVI convoqua les Etats-Généraux pour le début du mois de mai 1789 à Versailles, le déficit budgétaire de la France était alarmant. De nos jours, on parlerait d'un énorme trou dans les caisses royales. Ce déficit persistant sera estimé à 80 millions de livres en 1790, un an après le début de la Révolution. Or à travers son "club philanthropique" du 3 rue de la Sourdière à Paris, Charles-Pierre-Paul de Savalette de Langes gérait la même année une impressionnante trésorerie secrète, d'un total général de 20 millions de livres : c'était donc là un énorme pactole, représentant 25% du montant du déficit budgétaire du Royaume de France. En 1791, ce trésor de guerre grimpa même à 10 millions de livres de plus, soit 30 millions de livres. Même avec le montant des 20 000 livres annuelles susmentionnées, il aurait fallu qu'il soit un magicien pour parvenir à les faire fructifier à un niveau aussi stratosphérique !
L'activité "philanthropique" principale de Charles-Pierre-Paul de Savalette de Langes fut de financer les dépenses engendrées par la Révolution de 1789, et de payer non seulement ses hommes de main gourmands, mais également ses femmes complices (à l'instar de la cupide Mme Beauprez pour les événements des 5 et 6 octobre 1789), ou encore ses grandes figures intéressées (tels Le Marquis de la Fayette, Camille Desmoulins et bien d'autres). Son but secret, ainsi que celui de ses comparses, qui avaient pourtant renoncé à la référence templière au Convent de Wilhelmsbad en 1782, était apparemment de venger les Templiers de la dynastie Capétienne, tout en s'enrichissant au passage. Rappelons que si Philippe d'Orléans, également membre du Club, choisit de se rebaptiser lui-même "Philippe Egalité" en 1792, c'est justement parce qu'il pensait - à tort - éviter ainsi de subir cette vengeance templière supposée !
Le plus paradoxal, c'est que ceux qui au contraire avaient conservé la référence templière, après ledit Convent maçonnique de Wilhelmsbad, n'ont semble-t-il pas voulu s'associer à une mise en scène aussi trompeuse. Il y avait en effet quelques problèmes sur l'exactitude de la malédiction du 18 mars 1314 du dernier Grand-Maître des Templiers, Jacques de Molay (entre 1244 et 1246 - 1314), qui aurait été la suivante : "Pape Clément, Chevalier Guillaume, Roi Philippe, avant un an je vous cite à comparaître devant le tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste châtiment ! Maudits, maudits, soyez tous maudits jusqu'à la treizième génération de vos races !" Or, pour ce qui est du Chevalier Guillaume (Guillaume de Nogaret, "Guilhem" de son prénom Occitan et Cathare), il était déjà mort un an plus tôt, en 1313 ! Et après un décompte compliqué par le nombre de branches capétiennes indirectes, ils considéraient que la treizième génération de Rois de France à compter de Philippe le Bel, était celle d'Henri IV (1553 - 1610), et pas du tout celle de Louis XVI. Mais il est vrai que ce premier Roi Bourbon était mort assassiné à Paris le 14 mai 1610, par François Ravaillac (1577 - 1610) qui venait d'Angoulême, sans qu'on sache s'il avait été manipulé !
Mais revenons-en à notre personnage du jour, Savalette de Langes. Ce qui paraissait le plus comique à ce dernier, c'est que c'était le Roi Louis XVI qui finançait au final...son propre renversement sanglant ! Dire que notre personnage était cynique ne serait pas exagéré. Mais que penser alors de ceux et celles qui bénéficièrent de ses largesses ? Peu d'écrits mentionnent notre personnage. Pourtant, il y en a un qui est particulièrement percutant, mais que presque personne n'a lu, parce que l'ouvrage date de plus d'un siècle (1911) : "La Révolution préparée par la Franc-Maçonnerie" de Jean de Lannoy. Il y donne des détails de certaines rencontres secrètes au 3 rue de la Sourdière à Paris (son quartier général), et de la préparation concrète des troubles révolutionnaires avec des acteurs connus de la Révolution. Officiellement, il était le trésorier d'un club animé par l'amour de la philosophie et la seule "philanthropie" !
La fin de la vie de Charles-Pierre-Paul de Savalette de Langes fut cependant triste et maussade. Il avait été déçu par ceux-là mêmes qu'il avait aidé financièrement à faire disparaître l'Ordre ancien. Eux-seuls en tirèrent des titres de gloire, même si beaucoup finirent à l'échafaud dressé par leurs anciens comparses. La Fayette (1757 - 1834) fut de tous le plus malin, puisqu'il quitta Sedan et émigra juste à temps dans la nuit du 19 au 20 août 1792, avec une escorte de quinze de ses hommes pour éviter toute avanie : il venait d'être décrété "Traître à la Nation". Même si la Monarchie de Louis XVI avait été abolie le jour même de son anniversaire, le 21 septembre 1792, personne ne reconnut jamais le rôle historique de Savalette de Langes dans la mise en oeuvre concrète de la Révolution Française. Or, c'est ce manque cruel de reconnaissance qui mina la fin de sa vie. Il avait déjà été échaudé par l'échec du Convent des Philialèthes en 1787, avec le non-soutien des Illuminati de Bavière pro-autrichiens pour ses projets révolutionnaires. Après la mort de Philippe Egalité (guillotiné le 6 novembre 1793), il abandonna tous ses engagements "philanthropiques" initiés dès 1773, mais surtout à partir de 1780, et mourut le 11 décembre 1797 dans la plus grande amertume et ignoré de tous. Cet ancien Aide-de-Camp de La Fayette resta le plus grand Anonyme du rêve - rapidement transformé en cauchemar pour le plus grand nombre -, qu'il avait largement contribué à concrétiser !
En conclusion, nous dirons que Charles-Pierre-Paul de Savalette de Langes eut un destin unique au XVIIIème siècle. Il était dans le monde, mais le monde l'a grandement ignoré, et l'ignore encore. Pourtant, l'héritage qu'il a laissé est toujours bien présent !
Aujourd'hui, on pourrait aisément penser que le Roi ne surveillait pas assez son Trésor, ni l'un des administrateurs qui en avait la charge. Beaucoup en riraient même, tellement la chose paraît aberrante à première vue !
La philanthropie est à la base une bonne chose. Elle désigne le sentiment qui pousse les hommes à venir en aide aux autres ou le désintéressement, selon le dictionnaire Larousse. Mais le mot peut être détourné de son sens et vidé de son contenu, pour recouvrir une toute autre réalité en fait. De plus, avec la "Novlangue" toujours en vigueur, on ne sait plus trop comment interpréter les mots !
Mais il demeure que depuis cette époque, le cynisme règne en maître. On fait croire aux gens n'importe quoi sans vergogne, pour mieux les canaliser et les manager. Du moment qu'on leur présente les bons "mots valises", ils sont prêts à tout croire en abandonnant leur esprit critique ou leur bon sens, et à suivre sans hésiter. La vérité leur semble provenir de la répétition de ces mots déclencheurs qui stimulent le cerveau reptilien, plus que de leur contenu réel !
Avec le recul du temps, on peut plus facilement apprécier tout le chemin parcouru en plus de deux siècles, comparé à une France souvent jugée comme archaïque, alors que notre époque incarne bien sûr la modernité. Et quelle modernité, avec un "néo-féodalisme" en pleine expansion !
Actuellement, le jeu de yoyo que l'on fait jouer au déficit budgétaire est curieux, les indicateurs économiques de la France étant plutôt bons en réalité - au vu du Carré magique de Kaldor -, par rapport à nos voisins européens. On ne comprend pas bien en tant que citoyens, quelle est la part de l'exagération politique dans la phraséologie actuelle, ni le but recherché de cette "dramaturgie" assez artificielle, si ce n'est peut-être d'éviter certaines réformes jugées trop coûteuses !
Les "mots valises", répétés à l'envi par ceux ou celles qui "veulent" le bien du peuple dominent sans partage notre quotidien. Eux, la participation effective à la solidarité nationale ne les touche guère apparemment : ils sont toujours dans la bonne catégorie. En tant qu'"oligarchie silencieuse" bénéficiant de l'auto-glorification révolutionnaire, ils sont comme miraculeusement épargnés. Mais c'est sans doute un coup de chance !
En réalité, à notre sens l'être humain change assez peu dans sa nature profonde, une fois dégagé de l'enveloppe artificielle du temps qui passe et des illusions entretenues sur l'apparence des choses. Ce qui est éphémère, c'est l'opinion fugace et superficielle que nous en avons, pas leur persistance têtue ni leur aspect atemporel !
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