Wednesday, October 5, 2011

Alexandre, le Macédonien invincible : à la recherche éperdue de l'élixir de compréhension !

par Jean-Jacques COURTEY, Docteur en Géographie Economique

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Enfant, Alexandre le Grand (356 - 323 av. J.-C.), aimait à flâner dans la campagne, en quête de découvertes. Son âme était fondamentalement bucolique. Cela lui permettait de s'évader des incessantes querelles de ménage entre son père, Philippe II de Macédoine (382 - 336 av. J.-C.), et sa mère Olympias (vers 375 - 316 av. J.-C.).
Tous deux avaient une forte personnalité, raison probable de leur attraction avant le mariage, mais la vie familiale à Pella (capitale du royaume de Macédoine), n'était pas facile.
Alexandre s'évadait le plus souvent possible : il était prince héritier, mais son père avait envisagé un moment de l'écarter de sa succession, en le traitant de "rejeton de Zeus". Cependant, ils s'étaient ensuite réconciliés. Cela jouait beaucoup sur sa confiance en lui, et sur sa nécessaire vigilance familiale. Qu'il ait pu régner à la suite de son père Philippe, est d'ailleurs le résultat d'un sens de l'à-propos jamais démenti, et d'une manière très adroite de régler les questions de rivalités. C'était clairement son destin, envers et contre tout.

Ayant un sens guerrier très développé, il se voulait le maître des actions d'éclat foudroyantes, à l'image de Zeus auquel presque tout le monde avait tendance à le rattacher - parfois c'était à Dyonysos auquel il faisait bien honneur également. Alexandre trouvait cependant et paradoxalement dans l'étude de la nature et de la philosophie les contentements qu'on semblait lui dénier par ailleurs. Peu de gens le savent aujourd'hui, mais il avait également étudié la médecine de son époque, avec des dons probants.
Et il adorait l'histoire et la géographie qui lui permettaient de voyager très loin dans le temps ou dans l'espace, en oubliant ses craintes et ses angoisses de ne pas être suffisamment aimé de son père malgré tous ses efforts. Il savait que sa mère l'adorait presque comme un nouveau dieu, par contraste. Mais cette dichotomie des comportements parentaux à son égard était hautement perturbante, et explique en partie son caractère, connu comme étant colérique. Etre balloté constamment entre deux êtres qui se déchiraient à travers lui, aurait pu le déstabiliser à jamais, s'il n'avait eu cette quête mystérieuse, celle de l'élixir de compréhension.

L'élixir de compréhension était sa planche de salut autant que d'équilibre préservé, dans son monde conflictuel. Il le trouva si bien, qu'il en fit la clef secrète de décryptage de sa légende qui continue encore aujourd'hui.
Son ambition au départ était bien plus celle de sa mère que la sienne : sans elle, il se serait certainement contenté d'une vie plus simple. Là où une foule de gens mal informés, voient uniquement en lui une volonté de domination universelle, et une certaine mégalomanie, il n'y avait jamais eu au fond qu'un enfant blessé en quête de compréhension universelle. C'est ce qui après ses victoires brillantes et ses conquêtes toutes plus hallucinantes les unes que les autres l'opposa de plus en plus à ses officiers, et à son vieux maître, Aristote (384 - 322 av. J.-C.).
Eux ne rêvaient que pillage ou domination sans borne, et lui pensait constamment richesse partagée avec les populations vaincues, et acceptation des cultures différentes, pour créer quelque chose de fascinant, d'envoûtant et d'anti-âge qui traverse audacieusement les siècles. Il éprouvait respect et admiration pour d'autres modes de gouvernance : les traditions égyptiennes et perses surtout, lui seyaient tout à fait, ce qui n'était souvent guère du goût de ses compagnons, à l'exception notable de Ptolémée (367 - 283 av. J.-C.) et d'Héphaïstion (356 - 324 av. J.-C.).

Concernant ce dernier, il faut aborder "la légende d'Elien le sophiste" (v. 175 - 235), à la plume agile selon laquelle Héphaïstion et Alexandre auraient été davantage que des amis. D'abord, il n'y a que lui qui en parle, et absolument aucun des grands historiens antiques comme Quintus Curtius (Ier siècle en fait), Plutarque (v. 46 - v. 125), ou Arrien (v. 95 - v. 175), n'y fait allusion. Et ensuite, on peut remarquer que le romain Claude Elien dans son "Histoire variée" essayait d'expliquer par ce biais peut-être un peu trop facile, le soutien indéfectible d'Héphaïstion dans les moments difficiles, soutien auquel lui n'adhérait pas. Elien le célibataire endurci, qui n'a jamais quitté l'Italie, n'a même pas songé à la simple loyauté d'un ami d'enfance envers son roi. Il n'a pas pensé non plus au fait encore plus simple et limpide qu'Héphaïstion pouvait être séduit comme Alexandre, un génie d'organisation, par toutes les nouveautés et promesses qu'offrait l'envoûtante Asie. Les hommes d'Alexandre lui reprochaient en effet d'adopter les coutumes asiatiques plus raffinées que les macédoniennes. Mais la légende était lancée et elle est parvenue jusqu'à notre époque toujours en quête de quelque chose de "croustillant".

Et récemment, le film d'Oliver Stone intitulé "Alexandre" (2004) a semblé vouloir la relayer, sans jamais faire état de la présence à ses côtés d'une femme athénienne extrêmement belle dont il était tombé éperdûment amoureux, la courtisane Thaïs. Ils étaient devenus si inséparables qu'elle l'avait accompagné jusqu'à Persépolis (Perse), en lui suggérant d'y mettre le feu (mai 330 av. J.-C.) : elle voulait venger de cette manière la mise à sac d'Athènes par Xerxès Ier (480 av. J.-C.). Elle épousa après sa mort, son ami Ptolémée - très certainement son demi-frère caché - devenu Pharaon d'Egypte. Cette option du réalisateur est d'autant plus étonnante, que le narrateur choisi pour ce film, très impressionnant par ailleurs, est justement Ptolémée! Enfin, ce film ne restitue pas clairement in fine le fait qu'Alexandre le Grand a vaincu le roi Poros en Inde dans la bataille de l'Hydaspe (juillet 326 av. J.-C.), où il perd effectivement son cheval Bucéphale, en étant lui-même à nouveau blessé. Il suggère même la fausse impression du contraire, ce qui est inexact historiquement. L'Occident, pourtant né du rêve de fraternité universelle d'Alexandre, semble avoir bien du mal à accepter son invincibilité : il doit la juger trop divine !


Les peuples conquis virent tout de suite qu'il n'était pas un conquérant ordinaire, même si à l'occasion il pouvait s'avérer brutal quand il s'emportait.
Sa beauté physique, son port altier, son sens inné du juste et de l'injuste, autant que sa noblesse d'âme et de coeur agrémentée de petites touches déconcertantes de grande humanité, les impressionnèrent à un point inimaginable. Il y avait quelque chose de vraiment grand en lui. Et c'est la raison pour laquelle un très grand nombre d'entre eux l'entrevoyaient comme un dieu authentique, et non un simple être humain, qu'ils soient Libyens, Egyptiens, Perses, Afghans, ou même ancêtres des modernes Chinois. Cela explique d'ailleurs que le titre si original et unique de roi d'Asie ne lui ait jamais été contesté par quiconque de son vivant.
Aujourd'hui, alors que l'Occident qu'il a créé semble vouloir s'autodétruire par une étrange et maladive lubie, il serait terriblement déçu. Ce désordre, cette entropie, qui afflige son ancien monde le désolerait au plus haut point. Et il ne comprendrait pas qu'il n'y ait apparemment presque personne pour rétablir le cours des choses de façon plus stable. Lui qui régna sur le monde connu à son époque, aurait du mal à l'accepter et se demanderait pourquoi ce gâchis ?

Pourquoi également s'en prendre aussi fortement à son pays, la Grèce, sous le prétexte récurrent de la Dette ? Qu'a-t-elle apporté au monde de si novateur dont celui-ci veuille tant se débarrasser, en ne résolvant pas clairement ce qui initialement était rattrapable ? Car il est patent que cet apport grec fertilisant l'a complètement changé depuis plus de 2300 ans, en le réinitialisant en quelque sorte.
Et qu'est-ce que la disparition de ce grand héritage serait censée apporter de subitement différent à la planète toute entière ?
C'est comme si le monde occidental actuel cherchait à se mesurer à lui, et à se battre contre ses créations, ou ses anciens royaumes, pour prouver qu'enfin le Macédonien invincible pourrait être vaincu !
Le problème, c'est qu'il est mort depuis très longtemps et qu'on ne refait pas l'histoire.
Pour autant, cette étrange et vaine guerre "intra-temporelle" sera perdue avec tous les désastres qu'elle commence déjà à engendrer. Car Alexandre, même disparu, reste à jamais invincible : cela ne peut être changé, usage d'une technologie ultra-moderne ou pas ! Alors, il serait hautement préférable que cesse ce manège très perturbant pour toute la planète.
Comme diraient les Russes, Alexandre n'était pas un "petit joueur". Il avait une amplitude gigantesque. Et si on lui avait dénié déraisonnablement le moindre pouvoir ou la moindre aptitude au dépassement de sa condition balbutiante d'héritier au départ, c'était clairement par manque de jugeotte.


En ce triste monde d'"anti-civilisation", où l'intimidation et "l'intox" tendent à primer à tort sur la réalité et la vérité, il est fréquent de chercher à ne pas perdre à plusieurs contre un seul. Oh cela n'apporte nulle gloire, et s'avère même profondément destructeur pour les individus qui deviennent au final leurs propres ennemis tant ils (ou elles) se méprisent. Mais ce parasitisme concurrentiel qui touche un grand nombre de domaines et n'épargne plus les élites - affaiblies, fatiguées et désorientées -, n'amène que le malheur, la pauvreté et la désolation. Tout devient vite insipide et vide de sens, avec cette secrète et insupportable honte qui leur colle à la peau comme de la glue.
Par contraste, Alexandre était capable de gagner à un contre sept, en prenant de vrais risques, puisqu'à son époque les batailles finissaient toujours en combat rapproché - sans la protection relative de la distance aérienne. Et la renommée qu'il en a tiré n'avait rien d'usurpé, car une bravoure de tous les instants était nécessaire pour ne pas succomber, et triompher au contraire à la surprise générale. Il fallait avoir du coeur, dans les deux sens du terme.
Deux écoles s'affrontent donc : celle des apparences trompeuses, et celle du courage. Pour l'instant, beaucoup trop se sont orienté (e) s sans réfléchir vers la première, parce qu'elle paraissait la plus facile. Or elle les déshumanise complètement, et les condamne ipso facto à une insupportable errance dans leur néant de l'après-vie.







Alors, cet élixir de compréhension d'Alexandre le Grand devenu élixir de révélation, il serait sans doute préférable de le trouver, pour le boire à son tour. Il est probable que pourraient être évitées nombre de déconvenues à venir sans cela.

Avoir été l'un des plus grands stratèges de tous les temps lui autoriserait tout de même une grande liberté d'interprétation des événements : même Gengis Khan (v. 1156 - 1227), le grand conquérant mongol se référait à lui. Son avis et son expérience victorieuse seraient des plus précieux.

Alexandre n'ignorait pas vraiment le monde virtuel qui s'oppose au monde réel : sa grande distinction ne résidait-elle pas déjà entre le monde divin et le monde terrestre. Mais le plus magique, c'est que lui-même établissait en sa propre personne un pont de splendeur flamboyante entre les deux !

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